mardi 25 avril 2017

L'HISTOIRE NE NOUS APPARTIENT PAS

C'est au moment où ils veulent affirmer leur paternité que le constat s'impose :
les pères sont une espèce en voie de disparition.

Comment la société réagit-elle à cette évolution, sur les plans politique et juridique
en particulier ?
Quelle autorité l’État conservera-t-il lorsque le père qui la symbolisait aura disparu ?



Entretien avec Marc Mangin


Marc Mangin, la défense des pères ne va-t-elle pas à contre-courant de l'histoire ?
M.M. : Tout dépend de ce que l'on entend par la défense des pères. Il s'agit ici de comprendre la mutation de l'espèce humaine que nous sommes en train de vivre et cette mutation ne concerne pas seulement les "pères".

En quoi consiste cette mutation ?
M.M. : À retirer à l'Homme et à la nature le pouvoir de se reproduire. À le couper d'une histoire qui s'enracine dans les générations précédentes. À sélectionner les gènes pour obtenir un enfant parfait qui, surtout, ne déçoive pas les attentes de ses parents.

On est dans Le meilleur des mondes imaginé par Huxley ?
M. M. : Quasiment. Dans quelques décennies, la technique sera au point.

Vous ne pensez pas que, pour les enfants, l'important est d'avoir des parents. Point ?
M. M. : Justement non et tous les professionnels qui se sont penchés sur la question arrivent à la même conclusion : l'amour ne suffit pas, les enfants ont besoin de leurs géniteurs. Personne n'en doute lorsqu'il s'agit de la mère. Et bien il en va de même pour le père. Je cite pas mal de témoignages dans cet ouvrage d'hommes et de femmes toujours marqués, en dépit des années, par l'absence de leur père. Que ce soit Roger Waters ou Sylvie Testud, Albert Camus ou Jean-Paul Sartre, Marie Nimier ou Franck Courtès… tous portent les stigmates de leur traumatisme.

Quelle est en substance l'idée de ce livre ?
M. M. : Peut-être que l'Homme est le passeur d'une histoire qui ne lui appartient pas. Il est autant l'enfant de ses parents que le petit enfant de ses grands-parents et l'arrière petit enfant de ses arrières grands-parents. Sa richesse provient des milliards de combinaisons possibles que cette histoire permet au moment de sa conception. Il n’est pas et ne peut pas être le simple produit d’une éducation, il est le résultat d’une évolution biologique, culturelle, sociale et il me semble dangereux de chercher à s’émanciper de cette filiation.

Vous n'avez pas peur de tomber dans un certain conservatisme ?
Je prends le risque d’être qualifié de conservateur, mais je me range au point de vue de José Bové : il faut combattre les manipulations sur l’organisme vivant, qu’il soit végétal, animal ou humain.

Vous n’avez pas l’impression de vous éloigner de votre sujet en plaçant votre propos dans une logique économique ?
M. M. : Pas du tout. J’espère qu’aujourd’hui plus personne ne doute de l’influence de l’économique sur le politique. Les individus sont réduits à leur valeur marchande et vous aurez remarqué qu’elle baisse. La disparition du père est indispensable à l’aboutissement du projet libéral : un monde où tout s’achète et tout se vend. La logique commerciale a toujours considéré le corps comme un objet : un support d’abord (mode, maquillage…), puis un objet à part entière (prostitution, esclavage…). Avec les progrès de la science, on peut aujourd’hui acheter des pièces détachées (organes, sperme…) ou simplement les louer (ventres…)
Pour acheter les êtres humains au meilleur prix, il faut commencer par les précariser donc isoler les individus en brisant les liens de coopération et de solidarité ; une fois vulnérabilisés, il devient plus facile de les dresser les uns contre les autres. On ne construit pas une société sur l’exclusion d’une de ses parties, que ce soit le genre, les orientations sexuelles, les croyances religieuses, la couleur de peau… ou sur leur mise en opposition : les nationaux contre les étrangers, les jeunes contre les vieux, les homos contre les hétéros et bien sûr les hommes contre les femmes selon le bon vieux principe « diviser pour régner »

En fait, vous défendez les vieilles valeurs familiales ?
M. M. : Justement, il y a peut-être un piège et une raison à vouloir – comme le propose la logique libérale – balayer le socle social. Je défends d'abord le principe du « vivre ensemble » parce que nous n’avons pas d’autre choix. J’appartiens à une génération où lorsque l’on avait besoin d’un coup de pouce, on le cherchait d’abord au sein des cercles familiaux – comme le font encore les Chinois, les Philippins, les Africains… tous ces peuples que nous méprisons. Aujourd’hui, ça se discute – si on peut appeler ça discuter – au guichet d’une banque. Ce n’est pas le même taux d’intérêt. Tout est fait, depuis plus d’un siècle pour briser les réseaux de proximité et nous livrer aux prédateurs de la finance. Tout concourt à nous contraindre à chercher secours ou refuge auprès de nos bourreaux. C’est, à un autre niveau, ce qui s’est passé dans les entreprises avec la disparition des syndicats ouvriers.
Ce n'est donc pas la famille "archaïque" soumise au "patriarche" que je défends, c'est la relation humaine qui nous permet de vivre ensemble. En faisant disparaître des interlocuteurs humains choisis (de l’homme et de la femme) au profit d’interlocuteurs anonymes (le système ou ses représentants) nous déshumanisons la relation ; l’être humain n’est plus alors qu’une chose réduite à sa valeur marchande.
Propos recueillis par Christine Veran

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